L’économie nazie : deuxième partie

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Deux mois avant Franklin Delano Roosevelt, Adolf Hitler arrive au pouvoir le 30 Janvier 1933. Il hérite d’une situation très complexe sur le plan économique, avec notamment un chômage touchant 6 millions de personnes, mais également d’un programme de création d’emplois lancé par le gouvernement précédent, et financé par le crédit (600 millions de Reichsmark). Il s’agissait alors d’une reconnaissance de dettes, utilisée pour payer les entreprises qui menaient des projets publics. Celles-ci n’étaient pas payées directement, mais les entreprises pouvaient récupérer des liquidités, moyennant escompte, auprès d’un consortium de banques.

L’INSTALLATION

Deux jours après sa nomination par le président Hindenburg – Hitler n’ayant jamais été élu, mais nommé, bien que non majoritaire dans le pays, le chancelier exprime à la radio ses priorités économiques ; résorber le chômage, réorganisation des compétences de l’Etat, développement et modernisation de l’agriculture… En soit, le chômage n’était pas sa préoccupation majeure : ce qu’il fallait c’était une économie qui soit capable de soutenir l’effort de guerre. C’est-à-dire de produire du matériel, d’avoir des infrastructures,… pour l’armée.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Hitler n’avait pas la main sur l’intégralité des portefeuilles de son gouvernement. En réalité, seul le Ministre de l’Intérieur est, à la nomination du gouvernement, encarté au parti nazi. Le gouvernement est dominé par les conservateurs traditionnels, pour la plupart, hostiles à d’éventuels emplois financés par de la création monétaire – comme par le crédit, à l’image du Ministre des Finances, Lutz Schwerin von Krosigk, ou du Ministre de l’Économie et de l’Agriculture, Alfred Hugenberg. Et ce, à rebours de l’aile gauche du parti nazi, incarné par Gregor Strasser ou Fritz Reinhardt.
Les élections du 5 mars 1933 – qui ont lieu après l’incendie du Reichstag, et une campagne d’intimidations – ne donnèrent pas au parti nazi la majorité espérée (43,91% des voix obtenues). Mais associées aux voix des conservateurs, à la tête desquels Hugenberg (7,97% des voix), et celles du centre (11,25%), le chancelier avait une majorité. Hitler a pu alors faire voter la Loi d’Habilitation, qui lui permettait de gouverner par décret. Communistes, socio-démocrates, syndicalistes, juifs,… fûrent alors pourchassés. Une partie des militants du parti nazi fit également « du zèle » dans certaines entreprises, les rendant ingérables. L’État, ayant supprimé les syndicats, les remplaça par des administrateurs régionaux du travail pour modérer les conflits.

LA DÉPENSE PUBLIQUE ET L’EMPLOI

Dans le même temps, Hjalmar Schacht revint à la tête de la Reichsbank et Reinhardt fût nommé secrétaire d’État au Ministère du Reich aux Finances. En mai 1933, est lancé le « Plan Reinhardt » pour la création d’emplois, avec une enveloppe d’un milliard de Reichsmarks, financé par le crédit.
Arrêtons-nous un instant sur ce point et schématisons. Il existe notamment deux variables sur lesquelles l’État peut jouer ; l’impôt et la dépense publique. Si l’Etat augmente les impôts pour financer la dépense publique, il diminue le pouvoir d’achat des entreprises et des ménages pour créer de l’emploi. En soit, il oriente une somme d’argent vers un but précis, l’emploi public. Si le ménage payait moins d’impôt, il serait probablement amené à consommer davantage (sauf en situation de forte incertitude, où il tend à thésauriser), et donc, en définitive à créer de l’emploi.
De la même manière, faire tourner la planche à billets pour créer des emplois publics semble, aux yeux d’une partie des économistes, comme un jeu à somme nulle. En effet, cela équivaut à augmenter la masse monétaire disponible, donc à en diminuer la valeur intrinsèque. L’inflation « mange » le gain apporté par l’emploi grâce à la planche à billet des travailleurs. Sauf qu’en vérité, et comme souvent en économie, cela dépend des situations et il faut trouver le bon curseur entre dépenses publiques et poussées inflationnistes. Le problème, en réalité, ne se situe pas à ce niveau, mais davantage au type d’emploi créé. Ainsi, payer quelqu’un à défricher un champ ou à creuser un trou, n’est pas une solution pérenne et à la merci des premières fluctuations… à la différence d’un emploi d’ingénieur, dans la construction d’autoroute ou dans une usine d’armement, mais dont les formations prennent davantage de temps. Mais à court terme, et pour les besoins de la propagande, les emplois peu qualifiés ont ainsi été utilisés.

LES PREMIÈRES MESURES

En 1933, Fritz Todt lance un grand plan de construction d’autoroute avec l’idée, pour l’armée allemande, de relier les deux frontières Est et Ouest en deux jours. Il dispose alors d’environ 1000 ouvriers. Un an plus tard, ils seront 38 000, bien loin des 600 000 annoncés dans le plan. Enfin, à la fin de l’année 1933, l’Allemagne axa son action sur des projets locaux, avec des subventions à la rénovation des habitations et des villes.
L’Allemagne décida également un moratoire sur le paiement de la dette, mais face à d’importantes protestations, elle dût céder. Dans le même temps, les Etats-Unis décidèrent de ne pas baisser leurs tarifs douaniers, et de de laisser s’effondrer le dollar. Le 3 juillet 1993, le Président Roosevelt envoie son télégramme dans lequel il écrit que la résolution de la crise passe par des solutions nationales – ce qui équivaut à exclure toute résolution internationale.
C’est durant l’été 1933 que les nazis commencèrent à enclencher des programmes de réarmement. Le plan prévoyait 35 milliards de Reichsmark sur 8 ans – le revenu national annuel était alors de 43 milliards. Un même système d’escompte fût mis en place ; des grands noms de l’industrie de l’armement, solvables, coopérèrent et créèrent une société nommée Mefo GMbH dont les reconnaissances de dettes servaient à payer les entreprises travaillant pour le réarmement.
Si Hitler ne masquait pas, dans les « coups » qu’il menait, ses intentions agressives, en quittant la SDN comme en augmentant les budgets militaires, certains ministres craignaient une réaction militaire des voisins européens, de la France notamment. Mais à ce moment, Paris connaissait des problèmes intérieurs : les scandales à répétitions, les manifestations des ligues,… étaient davantage préoccupants pour le pays.
Au printemps 1934, les dépenses militaires avaient pris le pas sur les projets locaux. La création d’emplois civils – autres que ceux destinés au réarmement de l’armée allemande – était reléguée au second plan. A ce moment, les dépenses militaires représentaient plus de 50% des dépenses de l’Etat central en biens et services. Un tel niveau de dépense, et un tel « effort » mis sur l’armée suscitait des convoitises et les SA et l’armée envisageaient les choses de manière différente. L’armée et les conservateurs ne souhaitaient pas une révolution populaire, mais que chaque groupe – notamment l’armée – soit à sa place, à la différence des SA.
La Nuit des longs couteaux mit fin à ce débat d’une manière radicale.

FACE AUX RÉACTIONS INTERNATIONALES

Cet événement, associé au coup de force manqué en Autriche et aux différentes provocations du régime nazi, suscita parmi les différents pays d’Europe, un sentiment d’horreur. Dans le même temps, et au vue des faibles réserves de la Reichsbank, Schacht décida de suspendre l’allocation de devises aux importateurs allemands ; d’un jour à l’autre, les entreprises allemandes ne pouvaient être certaines de payer leurs fournisseurs. La Grande-Bretagne, à la fois premier fournisseur de matières premières et premier marché d’exportation pour les entreprises allemandes, réagit alors vivement, menaçant de saisir les recettes des exportations allemandes pour payer les fournisseurs britanniques.
Face à de telles réactions, l’Allemagne choisit de reculer et de changer de stratégie. Face à un concert des nations unanimement critique vis-à-vis de l’Allemagne, il fallait fracturer l’opposition et faire jouer les créanciers les uns contre les autres. Cette stratégie fût mise en place par la signature d’accords bilatéraux. En reprenant le paiement des dettes contractées auprès de la Grande-Bretagne, et en obtenant des britanniques des crédits permettant de solder les impayés allemands, l’Allemagne fractura l’alliance entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, pour lesquels l’Allemagne décida d’appliquer une politique discriminatoire. Petit à petit, des accords commerciaux furent ainsi signés avec les pays du Sud (Chili, Brésil notamment) ou de l’Europe de l’Est (Hongrie, Yougoslavie,…).
L’antisémitisme aux débuts du régime nazi est également un facteur aggravant la situation économique. L’élection du chancelier entraîna l’émigration de dizaines de milliers de juifs allemands pendant en 1933 et 1934. Mais ce départ entraîna également l’apparition d’un paradoxe ; d’une part, Hitler souhaitait le départ des juifs du sol allemand, mais ceux-ci emportaient avec eux leurs économies. Ainsi, entre 1933 et 1935, l’émigration juive entraîna une perte de devises de124,8 millions de Reichsmarks. Le régime nazi décida alors de relever les taxes pour quiconque souhaitait quitter le pays. Les juifs allemands étaient donc confrontés à un dilemme ; partir en laissant leurs biens ou rester et attendre des jours meilleurs. L’accord Haavara permit l’apparition d’une troisième option, basée sur le modèle de la société Hanotea. Il s’agissait pour les juifs allemands désireux d’émigrer en Palestine, de transférer leur épargne sur un compte bloqué qui permettrait ensuite d’acheter des produits allemands. Ces produits étaient ensuite vendus en Palestine, et les juifs allemands qui avaient émigré dans l’intervalle, récupéraient alors une partie de leur argent.

LA QUESTION DE L’EXPORTATION

Ces différentes mesures ne pouvaient durer qu’un temps. Si l’Allemagne souhaitait une reprise durable, elle devait résoudre une équation ; sa dépendance aux importations, qu’elles soient alimentaires ou en matière première pour ses usines, était susceptible de devenir croissante avec la reprise de l’emploi qui s’amorçait.

« Tout dépendait donc de la capacité de l’Allemagne à soutenir un niveau élevé d’exportations lui permettant d’assurer le service de sa dette et de payer ses importations ». Adam Tooze

Face à cette problématique, les nazis choisirent d’exercer un fort contrôle bureaucratique sur les entreprises qui importaient. Celles-ci devaient obtenir un certificat si elles souhaitaient importer. On peut s’en douter, les entreprises en lien avec les projets de réarmements obtenaient plus facilement ces certificats que les autres. Cela provoqua en 1935 une compression des importations, viable à court terme (entendu ici comme la période durant laquelle l’entreprise puise dans ses stocks). En parallèle, les nazis choisirent une augmentation des taxes sur le profit des entreprises afin de subventionner les entreprises allemandes qui exportaient – un système de dumping en somme – afin de faire face à la question des changes qui pesait lourdement sur les exportations.

Fin de la deuxième partie.


Clément Delaunay