L’économie nazie

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Chaque élève a déjà vu les images de l’Allemagne de l’entre-deux guerres où l’on voit des habitants aller faire leurs courses, armés d’une brouette de billets. Ces images datent pour la plupart des années 1923-1924 lorsque la Ruhr est occupée par la France, provoquant par la même, une hyperinflation. Dix ans plus tard, le chancelier Adolf Hitler arrive au pouvoir. A cet instant, l’impression d’une rupture nette et précise avec la République de Weimar émerge. Cependant, en économie, il existe des continuités qu’il ne faut pas négliger.

DEUX VISIONS DIFFÉRENTES

Durant cette période, deux visions se font face, bien qu’elles ne soient pas frontalement opposables.

Celle de Gustav Stresemann tout d’abord. Il est un représentant du parti national libéral, éphémère chancelier et ministre des affaires étrangères à la fin des années 20, et tenant d’une politique axée vers l’économie, comme gage de paix et de prospérité. Si les grandes puissances européennes étaient rivales, Stresemann était convaincu qu’elles avaient néanmoins besoin les unes des autres, à la fois comme nécessité (importation de denrées alimentaires) mais également comme débouchés commerciaux. Cependant, il fallût la défaite de 1918 pour le convaincre d’abandonner l’idée que c’était par la guerre et la force militaire que l’Allemagne pourrait dominer les puissances étrangères – c’était donc par l’économie qu’il fallait agir. Face au désintérêt britannique et à l’hostilité française, c’était avec les Etats-Unis qu’il fallait s’allier. Le plan Dawes, dont la commission avait à sa tête des industriels américains qui avaient des intérêts en Allemagne, réduisit considérablement les réparations. La monnaie allemande fût stabilisée ; les Américains purent prêter aux Allemands, qui purent rembourser les Britanniques et les Français, qui purent eux-mêmes rembourser les dettes de guerre contractées auprès… des États-Unis. La boucle était bouclée, mais la dette allemande allait croissante, tout comme les intérêts américains en Allemagne. Gustav Stresemann comme Hjalmar Schacht, président de la Reichsbank, voyaient dans cette situation deux effets contradictoires ; d’une part, la dépendance de l’Allemagne vis-à-vis des Etats-Unis allait croissante, mais d’autre part, l’Allemagne pouvait emprunter toujours plus, impliquant de la même manière et davantage les américains. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui, en 1928, proposèrent la renégociation des réparations allemandes, dans le cadre du plan Young.

Celle d’Adolf Hitler ensuite. Pour lui, les Allemands avaient besoin de ressources, et ils ne pourraient les obtenir qu’en se libérant de la dépendance des économies étrangères, par la conquête d’un espace vital. Les colonies wilhelmiennes équivalaient à une dispersion des forces allemandes, il fallait donc occuper des territoires contigus… et n’en garder que les ressources. Le chancelier l’écrivit notamment dans son 2nd livre, moins connu que le premier, dans lequel il exposait une vision géostratégique. De plus, en se cantonnant aux territoires européens, l’Allemagne évitait une confrontation avec la Grande-Bretagne – ce qui, dans l’hypothèse éventuelle d’un conflit, évitait de « rejouer » la confrontation de la première guerre mondiale.

Alors que pour Stresemann, l’allié qui permettrait à l’Allemagne de dominer l’Europe était les Etats-Unis, Hitler pensait qu’au contraire, l’influence grandissante des Etats-Unis en Europe mettait en péril l’espoir d’une domination germanique sur le continent. Il fallait donc, pour lui, répondre à cette menace américaine, et faire de la Grande-Bretagne un allié objectif. Pour Stresemann, la guerre ne changeait pas le cours de l’Histoire, puisque celui-ci était dicté, en grande partie, par l’économie et les rapports qu’elle inclut – et ce n’était qu’en tirant profit des relations économiques que le pays pourrait dominer l’Europe. Pour Hitler, la guerre changeait le cours de l’Histoire ; c’est parce que les Anglais avaient combattu sur tous les continents, qu’ils avaient pu en tirer des richesses et assoir leur domination.

En 1928, le parti de Stresemann obtint 45% des suffrages lors des élections législatives, celui d’Hitler à peine 2,5%.

L’ÉVOLUTION DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE

La réduction du volume des prêts américains à long terme, l’augmentation de leur taux d’intérêt, l’échec partiel du plan Young, les promesses du président américain Hoover de protéger l’agriculture et l’industrie des importations des produits européens, la déception croissante de Stresemann vis-à-vis des américains, puis la mort de celui-ci,… sont autant d’éléments qui, dès le milieu de l’année 1929 annonçaient des difficultés pour l’avenir de l’économie allemande.

Hjalmar Schacht, tenant également d’une position atlantiste depuis le plan Dawes, demeurait profondément nationaliste. Lors des discussions concernant le plan Young, il n’hésitait plus à lier la poursuite du versement des réparations à la restitution à l’Allemagne de ses territoires, notamment de ses colonies. Cette demande faillit faire échouer les discussions. N’ayant plus la confiance du gouvernement après la mort de Stresemann, il démissionna de ses fonctions de président de la Reichsbank.

La situation économique et les effets du plan Young conduisirent le gouvernement allemand, dirigé par Brüning, à prendre, en 1930, des mesures d’austérité. Face à la diminution des capitaux étrangers, la seule solution était la déflation. Les coupes budgétaires, associées à l’effondrement du commerce international, contribuèrent à une forte augmentation du chômage et, parallèlement, à une explosion des suffrages en faveur du parti nazi (18,3% en septembre 1930). Le chancelier Brüning, bien qu’acculé par les dispositions du Plan Young, décida – par une rhétorique nationaliste, comme par la construction de cuirassés (alors que la situation économique allemande est catastrophique) – de raviver les tensions avec la France, que les discussions entre Stresemann et Aristide Briand avaient, pour un temps, calmées.

UN CHANGEMENT DE RAPPORT DE FORCE

Cette rhétorique amplifia la méfiance vis-à-vis de l’Allemagne et la conduisit à la mise en place de nouvelles coupes budgétaires. Le 6 juin 1931, le chancelier exige la fin du paiement des réparations ; plongeant l’Allemagne dans une crise encore plus profonde.

La France, dont les stocks d’or étaient importants, était, dans un premier temps, prête à ouvrir le marché des capitaux français aux emprunts allemands à long terme. Mais face à la rhétorique toujours plus agressive du chancelier, et face à l’absence de réaction américaine, Paris laissa traîner certaines décisions, notamment celles concernant le moratoire du paiement des réparations allemandes. Suffisamment longtemps pour que le système financier allemand soit à l’agonie. Après la panique provoquée par la fermeture de la Danat Bank, le système financier allemand fût fermé et les devises étrangères fûrent soumises à un strict contrôle. Le renforcement des barrières douanières des principaux concurrents de l’Allemagne, la dévaluation de leur monnaie, la décision de la Bank of England de quitter l’étalon-or,… L’Allemagne, encore marquée par la crise des années 1920 et par l’hyperinflation, refusa de dévaluer et de s’aligner sur la livre, principale devise commerciale mondiale. Une telle dévaluation se serait accompagnée d’une augmentation des prix des matières premières importées, d’une augmentation du poids des réparations,… Face à l’aggravation de la situation, Brüning choisit une nouvelle fois la déflation, qu’il mit en place par décret : baisse obligatoire des salaires, diminution des dépenses publiques et augmentation de la fiscalité. Fin 1931, l’Allemagne comptait 6 millions de chômeurs, et des faillites en cascade. Mais pour les deux conceptions, la création d’emplois était reléguée à l’arrière-plan alors que dominent trois thèmes ; la dette, la question militaire et la protection de l’agriculture. Ce sont là les trois thèmes qui distinguent la République de Weimar du programme d’Hitler.

La conception de libérale, selon laquelle les économies mondiales dépendantes les unes des autres sont un gage de paix et de stabilité, survit mal à la disparition de Stresemann et à la situation économique du pays. Pour les nationalistes, c’est au contraire la trop forte dépendance des économies qui est à l’origine de la propagation de la crise. La conférence de Lausanne, en 1932, mit fin au versement des réparations, et la reconnaissance des Etats-Unis du lien entre paiement de celles-ci par l’Allemagne et remboursement des créances de guerre par les Alliés fût admise. La fin du paiement engendra une perte des moyens de pression des Etats-Unis en Allemagne, ce qui finit d’éloigner ce pays de l’Amérique. Tant que l’Allemagne devait payer des réparations, il était dans son intérêt de coopérer avec les Etats-Unis, ce pays était son principal créancier. Une fois ces réparations disparues, le poids des dettes contractés et l’importance des droits de douane étatsuniens qui pénalisaient l’industrie allemande, les Etats-Unis devenaient un adversaire.

Le soutien de Schacht aux nationalistes, et son projet de contrôler les importations et d’imposer aux pays d’origine une obligation d’acheter des produits allemands dans la même proportion, ne rencontra qu’un faible écho auprès des industriels… mais en trouva davantage auprès des agriculteurs, qui réclamaient l’instauration de quotas de manière unilatérale. Ni Brüning, ni Papen, ni Schleicher n’étaient favorables à cette idée.
Malgré ce sombre tableau, d’un point de vue économique, la fin de l’année 1932 montrait quelques signes encourageants. Le chômage n’augmentait plus, la demande d’obligations allemandes se renforça,… et certains observateurs annonçaient la fin du cycle de contraction. Même le parti nazi connût un premier déclin ; après avoir obtenu 37,5% des voix à l’été 1932, il ne rassembla que 33% des suffrages en Novembre. Pourtant, quelques mois plus tard, le 30 Janvier 1933, Adolf Hitler fût nommé chancelier.

Fin de la première partie. Lire la deuxième partie : https://clement-delaunay.fr/leconomie-lallemagne-nazie-deuxieme-partie/

POUR ALLER PLUS LOIN :

Le Salaire de la Destruction – Adam Tooze
Histoire de l’Allemagne, le long chemin vers l’Occident – Heinrich Winkler
Le Siècle des Excès – P. Touchard, C. Bermond-Bousquet, P. Cabanel et M. Lefebvre


Clément Delaunay