Les défis (budgétaires) de l’armée

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Le Livre Blanc Défense et Sécurité Nationale de 2013 indique que « l’indépendance de la Nation est menacée si le déséquilibre des comptes publics place celle-ci dans la dépendance de ses créanciers. » Un équilibre est aujourd’hui à trouver entre la qualité et la performance de l’outil de défense, les nouvelles menaces qui se profilent (Moyen-Orient, cyber-défense,…) et le respect des engagements internationaux de la France, notamment en ce qui concerne le respect des déficits publics. De plus, depuis quelques années, l’engagement américain se fait plus sélectif : déjà le président Obama faisait pression sur ses alliés pour qu’ils augmentent leurs dépenses militaires. L’élection de Donald Trump laisse supposer un désengagement et un recentrage des Etats-Unis sur la défense de ses intérêts.

J’aimerais m’arrêter sur trois points en particulier.

Le premier concerne le matériel de l’armée française. La France a lancé dans les années 1980, le programme Rafale, pour un coût d’environ 43 milliards d’€ – coût qui n’est pas jugé excessif par la Cour des Comptes, ou dans les années 90, des programmes pour les hélicoptères (Tigre, NH90 notamment). Cependant, pendant la guerre en Libye, ces avions étaient ravitaillés en vol par des avions américains, qui s’occupaient de logistique. Il y a donc dans l’armée des ilots de modernité, très performants, mais qui se font aux dépends de d’autres domaines ; drones, cyber-défense,… Les Alouettes III ont plus de 50 ans, les Gazelle, Fennec, Dauphin, Puma…Dans les années 90, au moment de la dissolution du Pacte de Varsovie, certains évoquaient les « dividendes de la paix » et ont souhaité diminuer les budgets de défense ; la France en paie le prix aujourd’hui.

Dans le rapport d’Octobre dernier, la Cour des Comptes met en garde les pouvoirs publics sur le risque de surchauffe de l’armée française. Entre 2012 et 2015, la France a mené 25 opérations sur 9 théâtres principaux. L’un des principaux problèmes est l’absence d’une budgétisation claire, de « prévisions sincères ». Le budget destiné à la défense est passé de 6,5% du PIB dans les années 1960 à 1,78% aujourd’hui. Constat qui fait dire un peu avec humour à un ancien colonel d’infanterie marine et professeur à Sciences Po Paris, « dans le domaine, notre principal ennemi, c’est Bercy ».

L’autre problème est qu’avec 8000 militaires à l’étranger, 7000 mobilisés pour l’opération sentinelle, on dépasse aujourd’hui le schéma de référence posé par le livre blanc de 2013. L’armée aura donc du mal à faire face à de nouvelles urgences, d’autant plus qu’en sur-mobilisant ses troupes, elle diminue le temps consacré à la formation des soldats.

Depuis 2008, 80 000 postes ont été supprimés, pour payer notamment des équipements. Il y a donc une perte de capacité intrinsèque de l’armée française. Cela joue sur le moral des troupes. 70% des contrats sont en CDD, le capital d’expérience s’appauvrit progressivement.

Il faut donc faire face, de manière simultanée, à tous ces défis. Sans compter le fait que s’il est hautement improbable que notre territoire soit envahi par une armée étrangère, les frontières extérieures de l’Europe sont de moins en moins sûres. Le bassin méditerranéen ou des régions outre-mer sont confrontés à des menaces qui pourraient requérir une intervention militaire directe de l’Europe. L’un des rares pays à pouvoir y répondre, c’est le nôtre. La France a donc une responsabilité supplémentaire qui est celle de pallier à cette difficulté.

L’appel lancé par le Général Pierre de Villiers est donc loin d’être un caprice ; c’est une nécessité.

La Loi Macron a tenté, dans son article 50A[1], de mettre en place des Special Purpose Vehicle, que l’on pourrait traduire des sociétés de projet, pour l’achat et la location de matériel militaire. En très gros, l’Etat achète du matériel, une Frégate Multi-Mission par exemple, qu’elle revend immédiatement à une société créée pour l’occasion. Cette société loue ensuite ce navire à l’armée, en leasing (location avec option d’achat).

Pourquoi l’ancien ministre a-t-il proposé un tel amendement ? Il le dit lui-même, la vente de fréquences 700 mégahertz a été compliquée, retardée, et une partie de l’augmentation du budget de l’armée reposait sur ces ventes. Pour être tout à fait honnête, tout le monde savait dès le départ que le calendrier ne serait pas tenu. « Le ministère de la défense serait dès lors dans l’incapacité de régler ses fournisseurs en 2015, ce qui aggraverait encore le report de charges et pourrait finir par compromettre la soutenabilité budgétaire de certains programmes d’armement ». Il s’agit donc d’agir rapidement, de parer au plus pressé. Il faut reconnaître à ce gouvernement qu’il a stoppé la diminution des budgets de l’armée qui ont amené à la situation présente. Des efforts ont été faits, mais les enjeux sont importants.

Mais en l’état, rien n’indique que ce soit une solution d’avenir. La location n’est pas forcément plus économique que l’achat, d’une part, et d’autre part, la création de société de projets « accroît la dette publique au sens des critères de Maastricht » comme a pu l’expliquer Jean-François Lamour durant les débats. Le dernier point, et non des moindres, est que l’armée n’est plus propriétaire de certains de ses équipements. Si c’est le cas avec du mobilier, c’est une autre question que de soumettre un navire à ce système. C’est en fait un grand flou qui règne sur la question du réel bénéfice de ce stratagème.

La défense nationale peut-elle être l’affaire de société privée ? Le débat est lancé. La position du ministre donne une raison de s’inquiéter. L’exercice de la souveraineté nationale suppose la possession pleine et entière des outils de défense. Si l’article contient une partie consacrée à des acteurs étrangers, le ministre de la défense a tout de même reconnu, à demi-mot, qu’il était tout de même possible pour une société étrangère – ou même pour un Etat étranger – de s’emparer de ces sociétés.

L’article a finalement été supprimé par le Sénat, et n’a pas été intégré à la loi adoptée. Mais ce n’est probablement que partie remise.

[1] Cet article n’était pas dans le projet de loi, tel que déposé à l’assemblée nationale. En effet, le gouvernement – l’actuel comme les précédents, doit réaliser une étude d’impact sur l’ensemble des articles qu’ils présentent.


Clément Delaunay