Amadou Hampâté Bâ (1900 – 1991) est un écrivain, historien, ethnologue et poète malien. Son travail et sa défense de la tradition orale peule font de lui probablement l’une des plus hautes figures de la sagesse dans l’Afrique contemporaine. Musulman, il est partisan du dialogue inter-religieux.
Le livre « Jésus vu par un musulman » est en grande partie la retranscription d’une conférence donnée à Niamey le 4 juillet 1975 devant la commission épiscopale des relations avec l’Islam. Le titre complet de cette conférence était « Jésus en Islam : sa place officielle, son importance dans le courant mystique, la connaissance et l’attachement à Jésus chez les musulmans africains. »
Cette conférence pourrait être considérée, dans son introduction, comme un appel au renforcement du dialogue interreligieux à une époque où la « survie des religions » est en jeu.
« N’est-t-il pas indiqué à tous ceux qui ne désespèrent ni de Dieu ni des hommes de surmonter leurs anciennes querelles de clocher, leur chauvinisme confessionnel, leurs options politiques, et de s’unir dans l’intérêt général de la cause du parti de Dieu ? Le différend doit être déplacé et ramené au niveau de deux camps : celui des « Oui à Dieu » et celui des « Non à Dieu »
Amadou Hampâté Bâ p18
La Vierge Marie
Première personne importante : Marie, mère de Jésus. Celle-ci est une figure importante dans la religion musulmane et « bénéficie » d’une sourate qui lui est dédiée (XIXème) ainsi que d’un certain nombre de versets. Il y a ainsi une quarantaine d’occurrences de « Marie » dans le Coran. Dans la religion musulmane, Marie est descendante d’Abraham par son père, consacrée à Dieu par sa mère (sourate III, versets 33-35)1.
Marie fût confiée à Zacharie, un prophète, et grandit dans le Temple. Un jour, l’archange Gabriel lui annonce qu’elle portera Jésus, « qui est au nombre de ceux qui sont proches de Dieu »2 (sourate III, verset 45). Mère sans époux, et malgré sa piété, Marie est alors « traitée outrageusement » par ses « ennemis [qui] inventèrent contre elle un mensonge atroce ».
Jésus : Fils ou Esprit de Dieu ?
Seconde personne importante : Jésus, aussi appelé « Esprit de Dieu » ou « Parole de Dieu »3. Il est, pour les musulmans, un envoyé de Dieu né de son « souffle de vie », mais il n’est pas son fils. « Allah n’est qu’un Dieu unique. Il est trop glorieux pour avoir un enfant » (sourate IV, verset 171).
La vie de Jésus se compose de 3 phases :
- la première, jusqu’à l’âge de 11 ans, où Jésus est en dehors de la vie publique
- La deuxième, de 12 à 30 ans, « marque le début de la vie publique de Jésus » où il enseigne « discrètement la loi qu’il avait reçue directement de Dieu en secret ».
- La troisième, jusqu’à 33 ans, est celle « d’une intense période d’enseignement et d’initiation ».
« L’Islam compte 124 000 Prophètes dont 313 sont qualifiés de « Prophètes-Envoyés ». Ils constituent le collège divin sur la terre. Vingt-cinq parmi eux sont nommément cités dans le Coran. Ces vingt-cinq grands Envoyés sont classés en quatre groupes […]. Quant au quatrième groupe, composé de Moïse, Jésus et Mahomet, il constitue la base du monothéisme sémitique. Ses membres sont considérés comme les plus élevés dans la hiérarchie de la communion avec l’unité de Dieu. C’est dire sur quel plan l’Islam situe Jésus-Christ. »
Amadou Hampâté Bâ – pp34-35
Crucifié,4 il est élevé par Dieu « auprès de lui. Il n’y aura personne, parmi les gens du Livre, qui n’aura pas foi en lui avant sa mort.5 Et au jour de la Résurrection, il sera témoin contre eux. »6.
Pour les musulmans, tout blasphème proféré à l’encontre de Jésus « doit être puni au même titre qu’un blasphème contre Mahomet lui-même » : « nous ne faisons aucune distinction entre [les prophètes] » (II – 136).
Par rapport à ces différents éléments, Amadou Hampâté Bâ ajoute et développe un certain nombre de thèses sur l’arithmologie, et souligne également la « parenté profonde » qui existe entre le Notre Père (tel qu’écrit dans la Bible) et la Fatiha (première sourate du Coran). Il y décèle ainsi une structure identique mais également une parenté des termes utilisés – que les traductions dans les différentes langues, notamment en français, ne reflètent pas toujours.
« Ce qui est le plus important aujourd’hui, pour amener la paix dans un monde si troublé et un progrès dans la conscience humaine, ce n’est pas de voir telle ou telle religion triompher sur les autres, mais de voir se développer entre les différentes religions, comme entre tous les hommes, un esprit de tolérance, de compréhension mutuelle et de recherche de ce qui nous est commun ».
Amadou Hampâté Bâ – pp100-101
L’auteur refuse tout syncrétisme mais prône un dialogue ininterrompu entre les religions.
- A noter que chez les chrétiens, et selon les Évangiles, c’est Joseph qui est « fils de David » et d’Abraham (Luc 3, 23-38; Mathieu 1, 1-17). Il est d’ailleurs intéressant de constater que Joseph, époux de Marie, n’apparaît pas dans le Coran. En effet, l’islam considère que celle-ci n’était ni mariée ni fiancée. Lors de la naissance de Jésus, Marie se retire « en un lieu éloigné […] [auprès du] tronc d’un palmier […] puis elle vint auprès des siens en portant le bébé » (sourate XIX versets 22-29). Exit donc la crèche et tout ce qui s’y rattache, mais aussi le métier de charpentier.Sans doute faut-il y voir là, les « certains points de cette conférence [qui] ne sont pas conformes à la foi d’un chrétien » exprimés par Monseigneur Laurent Yapi dans la préface du livre. [↩]
- Une traduction plus récente indique « l’un des rapprochés d’Allah ». [↩]
- Selon une note de lecture de la postface du livre, « chacun des grands prophètes est ainsi traditionnellement désigné par un qualificatif » : Abraham est l’Ami de Dieu, Moïse est son Interlocuteur, Jésus est l’Esprit de Dieu et Mohammad est l’Aimé de Dieu [↩]
- En réalité, la crucifixion du Christ est remise en cause par le Coran : (IV – 157) « Or, ils ne l’ont ni tué ni crucifié ; mais ce n’était qu’un faux semblant ». Ce verset fait néanmoins l’objet de nombreuses controverses. [↩]
- Il y a plusieurs interprétations possibles ici quant à l’expression « avant sa mort » : s’agit-il de la mort d’une personne parmi les gens du Livre ou de la mort de Jésus ? [↩]
- On retrouve dans les prières chrétiennes, notamment le symbole des apôtres et le symbole de Nicée, dans lesquelles Jésus monte au ciel, est assis à la droite du Père, « d’où il viendra juger les vivants et les morts » [↩]