« Un Mussolini allemand »
Voici comment commence le dernier livre – très intéressant au demeurant – de Daniel Schneidermann : Berlin – 1933, la presse internationale face à Hitler – Pourquoi n’ont-ils rien-dit ? publié en 2018 aux éditions du Seuil.
Une expulsion pour l’exemple
A l’arrivée au pouvoir du chancelier allemand en 1933, il y a 200 journalistes occidentaux présents. Un journaliste se fait expulser pour avoir écrit que l’Allemagne devenait un « asile de fou ». Son nom ? Edgar Ansel Mowrer, journaliste au Chicago Daily News, qui obtiendra le prix Pulitzer la même année. En 1933, il publie « Germany Puts the Clock Back » [L’Allemagne régresse] dans lequel il raconte notamment des épisodes antisémites qui traverse la société allemande, avant même l’arrivée au pouvoir des nazis et durant la République de Weimar.
De la même manière, le quadrillage des rues par les milices armées n’est pas une particularité du régime nazi : les communistes, les sociaux-démocrates ou la droite disposent également de forces qui s’affrontent entre elles tout au long de la montée en puissance du NSDAP. Pour Schneidermann, l’arrivée au pouvoir « s’inscrit autant dans la continuité qu’il opère une rupture ».
Des sujets très circonscris
Face à ces événements, une certaine indifférence, des faits qui n’apparaissent pas dans les colonnes des journaux ou qui sont relatés dans quelques brèves. Ce n’est que véritablement qu’au moment de la 2nde Guerre Mondiale, et dans des cas très circonscrits qu’apparaissent à la une ces sujets. Auparavant, il s’agissait davantage de savoir si l’Allemagne allait pouvoir payer les réparations, ou respecter le traité de Versailles.
Pour Schneidermann, cette situation peut s’expliquer, pour certains journalistes, par la volonté d’entretenir de relations « normales » avec le gouvernement allemand ou leurs sources.
« Sauf que leurs sources s’appellent Goebbels, Röhm ou Goering. Sauf qu’ils sont aux prises avec les intimidations nazies. Avec la presse nazie qui les insulte chaque matin. Avec les expulsions nazies. […] ‘’[Ces expulsions nous laissèrent] presque seuls, nous les Américains. Après dix-neuf expulsions de correspondants étrangers, la prudence était de mise pour tous.’’ »
Se faire expulser signe, à cette époque, la fin d’une carrière. Et la connaissance de la langue allemande ne peut guère être utilisée ailleurs que dans ce pays. Alors, quand vient le soir, des journalistes se retrouvent autour de la Stammisch [la Table des habitués] d’une taverne de Berlin, pour évoquer leurs difficultés. A partir de la Nuit des longs couteaux et les lois de Nuremberg, les choses commencent à basculer, les analyses classiques s’effritent, sans en faire émerger de nouvelles – tentant parfois des distinctions qui paraissent impensables aujourd’hui entre « nazis radicaux » et « nazis modérés ». La prise de conscience sur l’antisémitisme régnant alors n’est pas encore arrivée.
La presse française
Et les journaux français ? Parmi les journalistes français, on compte notamment Philippe Barrès, fils de l’écrivain nationaliste, qui démissionne en 1938 en disant « Nous aurons la guerre d’ici un an au plus tard. Je ne veux pas être mêlé aux affaires d’un journal qui fricote dès maintenant avec l’ennemi de demain. » Cette accusation n’est pas nouvelle, mais n’a jamais véritablement été étayée. Barrès est hostile au national-socialisme, au moins depuis 1934, date à laquelle il publie le livre Sous la vague hitlérienne. Il s’engage dès le début de la guerre dans la France Libre, et rejoindra, après la guerre, le Figaro.
« Chacun les siens en fait. La Croix se préoccupe des catholiques, l’Huma se soucie des communistes. Et la presse généraliste s’inquiète des juifs, quand elle y pense… »
Andrée Viollis, journaliste au Petit Parisien, elle, s’inquiète des « tripatouillages » que ses articles subissent, et accuse directement le Quai d’Orsay – et le ministre de l’époque, un certain Pierre Laval – de faire pression sur les journaux.
En Mars 1938, à la Une du Figaro, l’écrivain et académicien Georges Duhamel écrit un article intitulé « Que voulez-vous faire des Juifs ? » adressé aux autorités. Il s’agit de la première une sur le sujet.
Ce livre est pour l’auteur l’occasion de faire une comparaison avec d’autres époques, mais également d’interroger ses propres croyances et son histoire familiale (même si les dialogues avec sa mère sont inventés). C’est également l’occasion d’apprendre des anecdotes qui renseignent sur l’état d’esprit en Allemagne et ailleurs : l’épisode du Saint Louis, les confidence de Goering sur le programme militaire allemand,… mais également les relations privilégiées avec certains journalistes issus de pays desquels le chancelier voulait se rapprocher.
C’est également l’occasion de s’interroger sur le traitement des informations, à une époque – les années 30 – où tout semble pouvoir survenir.
On notera cependant l’absence remarquée de référence au journaliste Xavier de Hauteclocque, dont les articles et les ouvrages très fouillés lui ont coûté la vie.