Etat des lieux
Dans au cours des dernières décennies, le déplacement de population en Chine a permis de passer d’une économie primaire portée sur l’agriculture à une économie industrielle. Ce déplacement de population a engendré des chocs d’innovation. Divers facteurs ont été évoqués pour expliquer ces chocs ; la réorganisation des lieux de travail, le regroupement des cerveaux, … En France, si l’on veut favoriser l’innovation sur le territoire, la solution du déplacement de population n’est pas envisageable.
La part du capital intangible (R&D, capital humain, éducation, services, internet, …) prend le dessus sur le capital tangible (matières premières, énergie, …) dès la fin des années 1980, avec un accroissement du travail « hautement qualifié » et une stagnation du travail « faiblement qualifié » (même une baisse en France, de l’ordre de 0.6pt dans les années 80). En France, la R&D représente 2,26% du PIB en 2014 (Eurostat), ce qui nous place à la 8ème place dans l’Union Européenne. La France est donc dans la moyenne européenne, mais loin, derrière l’Europe du Nord (Finlande 3,17% ; Suède 3,16% ; …).
Le modèle fordiste de division du travail sur la chaîne de production était composé d’ouvriers spécialisés dans une tâche en particuliers. Le modèle toyotiste, lui, mise sur la flexibilité des ouvriers mieux formés, et qui peuvent changer de postes rapidement. L’innovation n’est pas seulement quelque chose de technique, c’est d’abord une méthode d’organisation.
La mondialisation et la polarisation des activités
Le phénomène de mondialisation se double d’un phénomène de polarisation des activités, et de spécialisation dans des clusters, ou dans des pôles de compétitivités (qui ne sont pas deux termes synonymes), favorisés par des politiques publiques.
Notre régime de croissance est donc basé sur 3 points principaux (que nous assimilerons ici à de l’innovation) :
- De nouvelles formes de productions et des incitations à l’innovation
- Une nouvelle géographie de l’innovation avec un rôle accru des réseaux et des territoires
- Une nouvelle structuration des systèmes productifs
Les questions de la codification de la connaissance, de son appropriation par le public et de sa « rentabilité » sont des questions fondamentales dans la transmission de celle-ci. Elles entraînent également l’idée d’absorption, c’est-à-dire la possibilité pour les individus de développer une capacité d’apprentissage.
La connaissance peut être divisée en deux parties : la connaissance explicite (directement exprimable et codifiable, comme des données chiffrées notamment) et la connaissance tacite (basée sur l’expérience, la réflexion,…). On peut considérer la connaissance à la fois comme un input ou comme un output. Si François Trinh-Duc ou Jonny Wilkinson écrivent un livre sur « Comment transformer un essai ? », ce n’est pas parce que j’aurai lu leur livre que je saurai transformer un essai. Il faudra que les joueurs soient à côté de moi pour contrôler la position du ballon, de mon pied, pour évaluer ma course… D’où le fait que l’on pense que la proximité entre les acteurs permet une meilleure compréhension et que l’on a tendance à les regrouper. Et chose qui peut également expliquer que les cours en lignes ne seront jamais aussi bien qu’un TD, avec le professeur en face de soi.
Cependant, le coût de « création » de connaissances existe et réduit de fait la diffusion de celle-ci. La diffusion et l’usage permettent pourtant de créer davantage de connaissances. « Fixer un prix pour l’usage de la connaissance restaure les incitations, mais en limitant la diffusion, restreint les probabilités de découvertes ultérieures »[1]. Un prix trop élevé peut provoquer une course à l’innovation et de ce fait, rendre le système non optimal ; exemple, deux entreprises automobiles font leur propre recherche et développement sur un moteur électrique et arrivent aux mêmes conclusions. Le coût supporté par chacune des structures est supérieur au coût qu’elles auraient dépensé si elles avaient travaillé chacune de leur côté. Un marché trop éclaté, avec des acteurs trop indépendants, est donc non-optimal.
Le tout est donc de fixer le curseur entre un savoir libre et un savoir complètement inaccessible, avec un prix qui n’engendre pas une course à la concurrence.
Le rôle du pouvoir public
Pour tenter de répondre à cette question complexe mais qui s’énonce pourtant simplement, la région Ile-de-France a mis en place environ 150 dispositifs incitatifs (selon le responsable économique du Grand Paris) d’aides, de bonus/ malus,… Lorsqu’est venu le temps de l’audit de ces dispositifs, les conclusions ont été sans appel, il fallait n’en garder que 10, simples et accessibles.
Le propre de l’acteur public doit donc être de faciliter les liens entre les acteurs, sans forcément aller jusqu’à les regrouper de force. Ainsi, l’acteur public a l’ambition de créer Paris-Saclay au milieu des champs. De grandes universités, des organes de recherche… Mais c’est oublier que Saclay est loin de tout, situé sur une commune plutôt rurale. C’est loin, les étudiants habitent pour une large majorité à Paris, il n’y a pas d’endroits pour créer des liens (bar, …), les gens ne viennent que pour étudier et repartent aussitôt car il n’y a rien à faire sur place… C’est une raison qui explique aussi l’échec partiel de Sophia-Antipolis. En effet, les pouvoirs publics ont décidé de regrouper à un même endroit de grandes entreprises et de grands centres de recherches. Problème, le soir venu, tout le monde rentre chez soi. Aujourd’hui, on assiste à un renouveau du lieu car les enfants des employés de ces grandes entreprises sont scolarisés dans les mêmes écoles. La proximité « réelle » est donc renforcée, et il existe un vrai partage, une vraie collaboration entre les différents acteurs. Les externalités de la proximité géographique, de fait limités, sont là davantage prises en compte. Ce sont là toutes les théories du débordement qui se trouvent expliquées. Évidemment, les sorties dans les bars ne suffisent pas à expliquer tel ou tel projet. Si l’emploi est reparti à Sophia Antipolis, c’est parce que l’Université de Nice a transféré une partie de ses activités au cœur du pôle d’activité, que des réseaux sociaux se sont formés à partir de la deuxième génération d’employés seulement, et que des mécanismes de formation de ces rencontres ont été mis en œuvre (petits déjeuners inter-entreprises).
Le rôle des universités est prépondérant dans le cluster lui-même, cependant, en dehors, l’essentiel des relations est portée par les firmes. Il est donc nécessaire d’avoir les deux pour que cela fonctionne.
Donc finalement, dans de nombreux cas, on ne fait que juxtaposer des éléments éclatés, en espérant qu’ils communiquent. Comme il n’y a pas d’interaction entre les différentes communautés, la valeur ajoutée d’un tel regroupement reste faible par rapport au coût qu’elle engendre.
En France, l’approche qui nous caractérise est une approche « top-down » ; l’innovation, ça se décrète dans un bureau parisien du ministère de l’économie ! C’est tout à fait l’idée de Sophia-Antipolis, projet porté par les pouvoirs publics et le sénateur Pierre Laffite. Rappelons que la Silicon Valley est un processus d’auto-organisation porté par un professeur de Stanford et ses étudiants.
Un autre des enjeux fondamentaux est celui de la recherche elle-même, et du rapprochement entre la sphère publique et la sphère privée. En France, la recherche fondamentale est davantage publique alors que la recherche scientifique est davantage privée. Notre pays finance davantage la recherche publique que la moyenne des pays de l’OCDE. En revanche, la recherche privée est moins financée que ces mêmes autres pays.
Pourtant, l’une et l’autre ne sont pas en contradiction, même si les logiques qu’il y a derrière sont différentes. Cependant, les frontières entre les deux mondes sont loin d’être étanches.
Au niveau des départements, la recherche privée, selon les chiffres, est davantage développée selon les statistiques. Cependant, il ne faut pas y voir une omniprésence de la recherche privée. Il s’agit du fait que la recherche publique est très polarisée, dans quelques villes de France, alors que la recherche privée est davantage répartie sur le territoire.
Le problème de notre mode de pensée provient également de notre découpage. En effet, on pense encore trop l’aide à l’innovation au niveau « administratif », c’est-à-dire au niveau départemental, ou le plus souvent, au niveau régional. Pourtant, c’est en termes de bassin d’emploi qu’il faudrait raisonner, ce qui n’est pas encore à l’ordre du jour.
Favoriser l’innovation sur un territoire : les politiques régionales
Pour favoriser l’innovation sur un territoire, il faut donc favoriser l’accessibilité aux connaissances, regrouper localement des universités et des entreprises sur un territoire tout en favorisant les interactions entre les différents groupes, inciter la recherche à « s’ouvrir » davantage sans aller toutefois trop loin, et inciter à la mobilité des acteurs. En effet, la possibilité pour un acteur de bouger d’un espace à un autre est fondamentale. Mais ce n’est pas parce qu’il y a une route, qu’une usine innovante va se construire. Disons davantage, que cela fait partie d’un faisceau d’indices pour l’innovation.
Autre problème des pouvoirs publics : la tendance à miser sur un secteur en particulier. Toulouse Métropole est la ville qui compte le plus d’ingénieurs et de mathématiciens au kilomètre carré. Le problème est que cette forte concentration est dirigée vers un secteur en particulier, celui de l’aéronautique. La région aurait eu la possibilité d’encourager d’autres secteurs d’activité : en France, IGN crée des cartes parmi les plus précises au monde, la technologie spatiale d’Airbus (Ariane 5 notamment) est développée… mais la Région n’a pas pris l’initiative de mener les différents organismes vers la création et le développement du GPS, car sa vision est trop portée sur l’aéronautique. À noter également que les relations fréquentes des entreprises les portaient pour les nouveaux projets à aller à l’étranger, notamment en Italie et en Allemagne, partenaires qu’ils avaient de longue date le plus souvent.
Les clusters ne doivent pas être rattachés à un secteur particulier mais plusieurs car le propre du cluster est d’incarner une dynamique technologique de réseau, des flux d’échanges d’information, et d’être capable d’un renouvellement permanent.
Les politiques régionales tendent à changer, d’une politique de spécialisation à une politique de complémentarité et il faut accompagner ce changement.
[1] Cours de Jérôme Vicente – économie de la connaissance