François Sureau : Sans la liberté

· 4 minutes de lecture

En septembre 2019, François Sureau publie dans la collection « Tracts » chez Gallimard le livre « Sans la liberté ». Dans ce livre, il dénonce les reculs successifs de la liberté en France depuis des décennies.

Un décalage entre liberté et sécurité

Une anecdote illustre ce recul : une manifestation, place de la République à Paris suite à la noyade d’un jeune homme à Nantes durant la fête de la musique. Face aux manifestants, des forces de l’ordre armées du fusil d’assaut de l’armée allemande. C’est ce décalage, cette démonstration de force faite pour intimider, cette utilisation des « exceptions consenties aux usages [… qui] finissent toujours par se trouver étendues aux circonstances ordinaires » que dénonce l’auteur. Ainsi, « la législation ‘anti-terroriste’ de Vichy a d’abord servi à réprimer des femmes coupables d’avortement ».

Les exceptions consenties à la liberté augmentent, le code pénal est modifié chaque année « dans une surprenante course à l’échalote qui nous éloigne chaque année un peu plus des mœurs d’une véritable démocratie ».

« La demande de sécurité relève de l’évidence et n’est pas illégitime. C’est la réponse des États qui est surprenante, en ce qu’elle échoue presque toujours, la diminution des libertés n’entraînant aucun bénéficie en ce qui concerne la sûreté. »

François Sureau, Sans la liberté, p19

Les lois de ces dernières années ne manquent pas pour illustrer cette dérive considère l’auteur : loi pour la déchéance de nationalité, loi « anticasseurs », loi organisant la lutte contre les fausses nouvelles en période électorale… L’époque « paraît avoir installé l’hémicycle au milieu du café du commerce ». Selon François Sureau, on en vient à traiter le citoyen libre « comme un délinquant en puissance », on expulse de notre communauté ceux dont on n’accepte pas qu’ils soient des nôtres (déchéance de nationalité), on fait des « présomptions de culpabilités » (loi « anticasseurs »). Pourtant, notre Constitution a été écrite à une époque plus terrible que la nôtre, celle de la guerre d’Algérie et de tout ce qu’elle a comporté.

« Dans la généralité des cas, il sera impossible [pour le juge] de démêler le vrai du faux. Les requêtes seront donc le plus souvent rejetées, comme il est habituel. Le public sera fondé à penser que la fausse nouvelle est vraie, ce qu’il n’aurait pas nécessairement fait en l’absence d’un tel dispositif. »

François Sureau, Sans la liberté, p22 – concernant la loi « anti fakenews ».

La liberté oui, mais la mienne

La liberté a un prix, celui de devoir écouter et d’être atteint par des opinions contraires aux nôtres, et de faire preuve d’un certain sens de discernement – ce dont le législateur doute dans le cas de la loi anti-fakenews. Un peu à l’image de Bernanos lorsqu’il écrit dans La France contre les robots « Lorsqu’un homme crie ‘vive la liberté’, il pense évidemment à la sienne », nous faisons souvent peu de cas de la liberté d’autrui : qu’importent les mesures contre les terroristes, les pédophiles, les fraudeurs fiscaux, les harceleurs sexuels… puisque je n’en fais pas partie ?

De la même manière, l’auteur s’interroge sur le fait de confier à un tiers (en dehors du législateur) la définition des formes acceptables de la liberté. En l’occurrence, il s’agit à la fois d’autorités administratives ou d’acteurs privés – notamment dans la lutte « contre la haine sur internet ». Il y a là une démission collective, une absence de volonté de prendre ses responsabilités, d’enfermer la liberté dans le silence ouaté des administrations, d’entraîner le citoyen vers la passivité… de soumettre l’intégralité de la population à un contrôle, qui ne concerne que quelques-uns et que le cadre juridique actuel permet déjà de punir.

Notre système de droits a donc été pensé pour qu’il n’y ait pas à choisir entre sécurité et liberté. Ce qui est logique, parce que sans cela nous basculerions inévitablement, tôt ou tard, dans un système entièrement sécuritaire, comme Hamilton l’explique bien dans une lettre célèbre.

François Sureau, Sans la liberté, p42

Ce livre, plaidoyer pour la liberté et pour l’invitation faite à chacun de se réapproprier ce qui le constitue, est d’un grand intérêt tant par la multiplicité des thèmes abordés, les exemples utilisés… et la facilité de sa compréhension. A mettre entre toutes les mains.

Bio : Avocat, conseiller d’État, écrivain, chroniqueur dans le journal La Croix, mais aussi officier de réserve dans l’armée de terre, François Sureau est également le mari d’Ayyam Sureau, fondatrice de l’association Pierre Claver.

Pour aller plus loin

François Sureau, Pour la liberté, répondre au terrorisme par la raison – Taillandier (2017)

François Sureau, Le chemin des morts – Gallimard (2013)


Clément Delaunay