Guillaume de Prémare face à Robert Ménard

· 12 minutes de lecture

Lundi 18 mai – Toulouse.

Je n’ai pas l’habitude d’écrire sur des faits d’actualité, sauf s’il s’agit de les mettre en rapport avec une situation passée. Mais ce soir, je ferai une exception. Les mots ne reflètent pas la pensée que je peux avoir sur tel ou tel sujet, mais davantage la manière dont s’organisent les raisonnements des invités. Il s’agit donc là de retranscription de notes. Les passages en italique sont des moments où j’avais à l’esprit des idées, en lien avec celles évoquées.

Il y avait à cette rencontre deux personnalités. La première, Guillaume de Prémare, est un des fondateurs et le premier président de la manif pour tous. Il vient de publier un livre intitulé « Résistance au meilleur des mondes« . La seconde est Robert Ménard, maire bien connu de Béziers et fondateur de Reporters Sans Frontières. Les deux étaient réunies en ce lundi soir, et je n’ai pu résister à l’envie d’aller les voir. Simplement. Pour comprendre. Sans aucun a priori, mais seulement pour voir quelles étaient la justification de leur discours.

Dès les premiers mots de la conférence, le ton était donné. « Venir ici est pour moi un acte de liberté, comme on en connaît peu […] dans cette société du spectacle où il est difficile de se débarrasser d’une étiquette collée »(Guillaume de Prémare). Son discours est celui d’une résistance, celle au meilleur des mondes d’Huxley. Dans le monde de ce dernier, la science domine, la famille n’existe plus (on n’élève plus les enfants), où règne le totalitarisme mou. La GPA, au coeur du raisonnement de l’orateur, va dans ce sens. On préfère « déléguer » à d’autres le fait d’avoir des enfants, et pourquoi pas les laisser à une machine. Cette attitude de résistance, chacun l’a. Notamment les enfants, les plus jeunes qui ne croient plus les médias et vont chercher l’information sur Internet. Guillaume de Prémare raconte ainsi l’anecdote d’un jeune lui disant que l’on mettait dans l’eau de la ville de Paris des produits pour rendre les gens dociles – « ah, apparemment ça ne marche pas trop ces produits ».

On se doit de résister à la science, à l’Etat, au marché – et à ces lobbies qui financent toutes les causes de déconstruction (à commencer par la famille).

Pour Robert Ménard, lecteur de l’intervenant précédent, une telle réflexion anthropologique est formidable. « Je suis maire par hasard » car conseillé par sa femme, il passe du grognement contre un système à un engagement. Cette attitude de résistance, la sienne, est davantage tournée vers le « système politico-médiatique ». « J’applique un programme, peu importe la machine médiatique ». Il oppose ainsi le bon sens de sa mesure de « couvre-feu » pour les mineurs, de la fin de la CCAS aux enfants délinquants à une déferlante médiatique.

Forcément, la question du fichage allait apparaître dans le débat. Pour R. Ménard, tous les maires le font, les prénoms sont des indicateurs « relatifs » – malgré les reproches de la droite et de la gauche. On envoie ainsi des fiches aux cantines sur « porc ou sans porc ». Mais la question n’est pas là, pas dans l’acte mais dans la cible. Quand Jack Lang déclare qu’il y a 70% de musulmans dans les prisons, comment fait-il pour le savoir ? Sous prétexte qu’il s’agit de lui (ndlr Robert Ménard), on lui fait un procès selon lui.

 

QUELS DÉCLENCHEURS ?

 

Guillaume de Prémare était syndicaliste, militant pour le bien commun. C’est pour lui mal vu que de se battre pour cette cause dans une société où le relativisme prime. Le combat devenait urgent au vue du texte de la Loi Taubira. Il avait l’impression que la manif pour tous allait fonctionner car il sentait ce vent de résistance ; dans d’autres pays, une telle loi passait comme une lettre à la poste, mais pas ici, pas en France. « J’ai la France dans le bide ». Car en France, la famille est une notion élémentaire, une expérience commune encore plus présente qu’ailleurs. Pour lui, c’est donc l’urgence d’une situation qui l’amène à s’engager.

Souvent, on demande à Robert Ménard « Comment avez vous pu passer de Reporters Sans Frontière à la mairie de Béziers ? » ce qui revient à dire selon lui « Comment avez-vous pu nous trahir ? ». Tout le monde pensait qu’il était de gauche à RSF. Et non. Ne peut-on pas être de droite et soucieux des gens ? Il est vrai que chacun évolue, Onfray, Finkielkraut,… Robert Ménard est réac mais pas conservateur. Il ne rêve pas du monde tel qu’il est, car ce monde là est « dégueulasse ». Il est dégueulasse pour cette « petite arabe » de Montpellier qui veut rencontrer des gens, d’autres gens, et à qui la société ne donne pas sa chance. « Où sont les enfants des ministres ? » Dans les écoles publiques de ces quartiers défavorisés ? Dans une école où il y a 88% de musulmans, on crée et perpétue des ghettos car on est incapable d’intégrer tous ces gens. D’où l’arrêt de l’immigration nécessaire, par souci du prochain comme le dit le maire.

A ce moment précis, je me suis posé une question : le premier intervenant fait de la famille la base de tout, le second veut arrêter l’immigration. Or, la principale source de l’immigration est le regroupement familial. Ces deux notions ne sont pas forcément contradictoires mais tout de même, elles peuvent comporter en elles des réalités différentes.

 

ET LA POLITIQUE ?

 

Pour Guillaume de Prémare, qui reprend une étude du CEVIPOF, 13% des Français font confiance aux partis politiques et selon le Huffington Post, 71% des Français ne croient plus dans la démocratie. Nous sommes dans une post-démocratie, où l’on emprisonne plus qu’on ne libère (c.f : Alexandre Jardin – Les Zèbres), où la France périphérique subit alors que la France urbaine profite de la mondialisation (Christophe Guilluy – La France Périphérique)… où en bref, règne une angoisse civilisationnelle, une insécurité culturelle et même cultuelle. Aucune société ne vit sans transcendance. « On ne peut faire aimer la France si la France met au sommet de ses valeurs l’injure de Charlie Hebdo ». Le vivre-ensemble des mobilisations est une bonne chose, mais la récupération qui en a été faite par le système politico-médiatique, beaucoup moins.

Notre nation souffre de l’absence d’ordre, de hiérarchie … selon Robert Ménard. Une nation bafouée est un pays qui se délite. Lorsque le seuil de tolérance est dépassé, qui a encore envie de vivre ensemble ? Dans certains quartiers de Béziers, des habitants ne veulent pas aller vivre ailleurs – il y a ce refus du vivre ensemble. Un système de communauté où chacun supporte l’équipe de foot de son pays d’origine et parfois où personne ne chante la Marseillaise. Comment en est-on arrivé là ? La faute n’est pas que dans un camp selon le maire.

La politique culturelle est le pivot de la politique de la ville, où l’interculturalité doit favoriser l’acculturation pour Guillaume de Prémare. Un objectif qui se construit dans le temps. Il faut arrêter l’immigration car la société n’arrive pas à faire ce travail culturel.

Il y a quelques temps, j’avais interrogé F. Gemenne sur la question de l’immigration. Il se battait contre l’idée d’un nombre maximal d’immigrés au dessus duquel ça ne serait plus possible d’accueillir les gens. Pour lui le problème n’était pas le nombre mais la projection, les croyances que l’on projetait sur l’immigré. Cette réflexion a vite fait place dans mon esprit à une autre ; Guillaume de Prémare pense une société, une nation qui ne doit pas changer en ce sens que ce sont les gens qui l’intègrent qui doivent changer. Mais parfois, ou souvent, je ne sais pas en fait, l’évolution d’une nation ne se fait pas grâce ou à cause des immigrés, mais bien grâce ou à cause d’un changement des nationaux. Un courant de pensée devient majoritaire à un moment donné. Difficile dans ce cas de penser une nation sans notion évolutive perpétuelle. Et puis Renan n’a-t-il pas dit « Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel, elles sont nées, elles périront » ? (Il ne s’agit pas forcément de disparition mais d’évolution).

Il faut s’engager en politique, transformer les choses. Pendant les municipales à Béziers, un certain nombre de personnes étaient d’accord avec Robert Ménard mais ne voulaient franchir le pas. « Et ce n’est pas avec Sarkozy que l’on va régler un quelconque problème ». Il réaffirme son attachement au vote (« si je perds, je m’en vais »). « Je ne veux pas d’un conseil régional à Toulouse, c’est loin et on ne va pas enlever un fonctionnaire à Toulouse ou un fonctionnaire à Montpellier mais au contraire, on va en rajouter pour faire la liaison entre les deux villes ». Guillaume de Prémare continue le raisonnement en rappelant le « There Is No Alternative », on a toujours le choix – il faut simplement s’engager.

 

ET DIEU ?

 

On ne construit pas un monde sans Dieu, et remettre l’Homme au centre, c’est lui redonner des responsabilités. Remettre la famille au coeur de l’éducation est un point essentiel pour Guillaume de Prémare.

« Tous les matins, je passe devant l’Eglise et j’espère juste ne pas trop mal faire mon métier de maire et de catholique » (Robert Ménard).

Après ces discours vient le temps des questions. Comment R. Ménard peut-il faire la différence entre une petite Sarah juive, musulmane ou catholique ? La question était lancée par un représentant du culte musulman à ce que j’ai cru comprendre. Mais peu importe au final. L’axe majeur de la réponse de Robert Ménard était simplement de dire qu’aujourd’hui les petites Sarah ne s’en sortaient pas dans les quartiers – et que cela n’était pas de sa faute mais de toutes les politiques qui avaient conduit à la « ghettoïsation ». Connaître chacun permettait de comprendre et de trouver des solutions. « Dans certains quartiers, 80% des gens sont issus de l’immigration. Que voulez-vous ? Qu’on ne le dise pas ? J’ai choisi de le dire, et de prendre les mesures. Venez voir comment ça se passe dans les banlieues. Dans ma ville, j’ai baissé le prix de la cantine, j’ai rendu gratuites les expositions.»

« Valls était favorable aux statistiques ethniques quand il était maire d’Evry. Il se baladait sur les marchés se plaignant qu’il n’y ait pas plus de white et de blancos ».

Le discours a continué encore et encore sur les différentes questions comme : Comment faire face au clientélisme communautaire de la gauche et de la droite ? Comment faire pour gouverner un pays avec des gens qui ne s’entendent pas ou qui ne se comprennent pas ? Quelle éducation pour nos enfants à l’heure des réformes de la gauche ? Et faut-il s’attendre à voir des candidats proches de R. Ménard ou de la Manif pour tous pour 2017 ? Pourquoi ne pas parler plus des bons musulmans ?

 

QU’EST-CE QUE JE PENSE DE CETTE CONFÉRENCE ?

 

A la fin de la conférence, mon voisin m’a dit « ça laisse songeur hein ?! ». Effectivement. Il est vrai que tous ces gens sont vus au travers un prisme. Si quelqu’un vous dit qu’il est du PS, de l’UDI ou du Front National, vous ne le regarderez pas forcément de la même manière lorsqu’il dira « J’aime mon pays ».

En fait, j’ai eu la même sensation durant cette soirée que l’on peut avoir à la lecture d’un livre d’Eric Zemmour. Essentiellement décliniste, regrettant un passé glorieux que les hommes politiques auraient démantelé. Un présent où l’on ne pourrait plus rien dire sans se faire traiter de tous les noms. A croire que l’on aime se faire du mal. J’ai rencontré pas mal de gens dans ma vie qui me disaient combien la jeunesse d’aujourd’hui, c’était n’importe quoi. A chaque fois, je souris. Je leur demande si le covoiturage était aussi développé ? Si on pouvait aller dormir chez des gens que l’on ne connaissait pas et qui se faisait un plaisir de nous accueillir ? S’il y avait autant de gens qui faisaient des études ? Et pour finir, je leur rappelle toutes les personnes qui ont tenu ce discours à propos de leur génération, comment dans les années 30, dans les années 50 – bien d’autres ont « constaté » la décadence « évidente » de la jeunesse.

De même, ce sont des constats choisis, on prend seuls les chiffres qui nous intéressent en laissant de côté les autres. Quand il est dit par exemple que l’immigration coûte de l’argent – c’est vrai 6 à 7 milliards d’Euros par an selon les études – personne ne pense à le mettre en rapport avec d’autres chiffres. Celui de la fraude fiscale par exemple, environ 20 fois plus. C’est un choix culturel, un choix politique que de mettre en avant le problème de l’immigration. Reprenant Gramsci, R. Ménard a cette phrase en fin de conférence « la bataille politique est d’abord une bataille culturelle, et cette bataille culturelle, nous sommes en train de la gagner ».


Clément Delaunay