Réformes Hartz / Schröder : Quels effets sur le marché du travail allemand ?

· 6 minutes de lecture

Depuis 2005, l’économie allemande a créé 2,5 millions d’emplois, correspondant majoritairement à des emplois à temps partiel, à des contrats intérimaires ou à durée déterminée. Cette progression de l’emploi a conduit à une baisse de 5 points du taux de chômage.

Les réformes Hartz répondaient à une conjecture économique morose, une croissance en berne, un taux de chômage élevé (supérieur à la moyenne de la zone euro) et une baisse de la population en âge de travailler (en recul depuis 2000). 4 lois visaient à :

  • Renforcer la recherche d’emploi ; amélioration du profilage des demandeurs d’emploi
  • Inciter les chômeurs à accepter un emploi ;
  • Encourager l’activité professionnelle, notamment des femmes et des seniors ;

Hartz I (01/2003) : facilitation de la formation et du reclassement des chômeurs, renforcement des devoirs des demandeurs d’emploi ; élargissement des possibilités de recours au travail temporaire.

Hartz II (04/2003) : facilitation et nouvelles aides à la création d’entreprise par les chômeurs

Hartz III (01/2004) : réforme du service public de l’emploi, réorganisation des agences, avec une plus grande autonomie locale et une augmentation du temps consacré à chaque chômeur par son conseiller ; fusion des dispositifs d’emplois aidés ; durcissement des conditions d’indemnisation des chômeurs ;

Hartz IV (01/2005) : suppression de l’assistance chômage (allocation pour les chômeurs en fin de droits) et revalorisation de l’aide sociale (revenu minimum garanti pour lutter contre la pauvreté) conditionnée à la signature d’un contrat d’insertion avec l’agence pour l’emploi ou le service communal. Compensation d’un euro de l’heure pour un travail d’utilité publique.

Elles ont été complétées par un raccourcissement de la période d’indemnisation du chômage (passage de 26 à 12 mois pour les moins de 55ans et de 32 à 18 pour les 55 ans et plus), l’abandon progressif des options de départ anticipé à la retraite (ce qui augmente la population active malgré une population en âge de travailler qui diminue) et une baisse des charges sociales patronales (compensée par la hausse de 3 points de TVA).

Ces lois ont affecté le fonctionnement du marché du travail avec une meilleure adéquation entre offre et demande de travail, notamment dans le secteur de l’industrie et chez les chômeurs de longue durée. Le triptyque (accompagnement – baisse des charges – réduction des revenus de remplacement) aurait favorisé le retour à l’emploi des personnes les plus éloignées du marché du travail. Kettner et Rebien constatent un accroissement des recherches d’emploi (candidatures spontanées notamment) et l’acceptation de davantage de concessions salariales lors des entretiens d’embauche. Ce constat est à nuancer, les études reposant sur des simulations ex-ante.

Le taux d’emploi a fortement augmenté, du fait des emplois à temps partiel, intérim, CDD et mini/midi-jobs, passant de 64,9% à 72,4% entre 2004 et 2012. L’emploi intérimaire a été multiplié par 2,7 entre 2003 et 2011. Le chômage structurel aurait été diminué de 0,5 point selon l’OCDE et de 1,4 point selon Krebs et Scheller. Mais les différentes analyses ne permettent de mesurer ni la qualité des emplois ni leur pérennité.

Les subventions aux emplois dans le secteur marchand ont eu un effet important sur le retour à l’emploi au niveau individuel. Les bénéficiaires ont une probabilité de 70% d’être encore à l’emploi 20 mois après l’entrée dans le dispositif. Il existe probablement un effet d’aubaine et des effets de substitution ; les employeurs profitent du système pour employer une personne qu’ils auraient employée de toute manière.

L’orientation vers un opérateur privé de placement, les « formations courtes » (aide à la rédaction de CV, préparation d’entretien, création d’entreprise,…) et les emplois à un euro ont eu un effet décevant, dans le sens où les personnes orientées vers les différents programmes ne sont pas en général celles sur lesquelles son effet potentiel est important (Huber, 2009).

Les mini-jobs et midi-jobs ne sont pas une création des lois Hartz, celui-ci a augmenté le plafond d’indemnisation.

Les mini-jobs sont soumis à des cotisations sociales salariales nulles ou réduites ; une personne en mini-job n’a pas le droit au chômage ni à l’assurance maladie et a des droits optionnels à la retraite. Les effectifs en mini-jobs exercés en plus d’une activité rémunérée sont passés de 1,69 million de personnes en 2004 à 2,53 millions en 2011. Ceux exercés en activité seule ont augmenté de 81 000 (4,9 millions dont 66% de femmes).

Les midi-jobs sont quant à eux soumis à un barème progressif de cotisations sociales jusqu’à atteindre le taux plein lorsque le salaire atteint 850€. Une personne en midi-jobs a globalement les mêmes droits qu’un salarié soumis pleinement à cotisations sociales.

Les emplois à un euro comptaient 200 000 personnes en 2005, 320 000 en 2009 et 188 000 en 2011 (fort recul).

Cependant, cette performance macro-économique doit être pondérée par la hausse de la pauvreté et des inégalités de revenus. Le taux de pauvreté a augmenté nettement entre 2000 et 2005, de 12,5 à 14,7 %. La hausse est particulièrement marquée pour les personnes en emploi et plus encore pour celles au chômage (le taux de pauvreté passe de 41% en 2004 à 68% en 2010 pour ces dernières).Cette évolution reflète probablement un effet de structure et l’effet de la baisse des revenus de remplacement. Une part importante des chômeurs de longue durée reste difficile à insérer (sur les 3,34 millions d’allocataires en 2011, 40% l’étaient sans interruption depuis 2005).

La hausse de la pauvreté n’est pas à attribuer seulement aux réformes Hartz, car avant même celles-ci, les inégalités avaient fortement augmenté – mais ce mouvement s’est prolongé. L’Allemagne est l’un des rares pays de l’OCDE où le revenu médian réel a stagné entre le milieu des années 1990 et le milieu des années 2000 et où le revenu réel des ménages du quintile inférieur a diminué sur la même période (-0.3% en moyenne par an).

Ceci reflète au moins en partie des effets de structure : les réformes Hartz ont remis en emploi des personnes sur des contrats temporaires ou à temps partiel, ne leur permettant pas de dépasser le seuil de pauvreté.

Le faible impact de la crise en Allemagne serait lié en partie à ces réformes et mesures d’urgences. Le taux de chômage n’a quasiment pas augmenté entre 2008 et 2009 (de 7,5% à 7,8%) malgré une forte contraction de l’activité (-6,8%). L’ajustement du marché du travail a été réalisé en partie par la baisse des heures travaillées par tête. La masse salariale est restée stable en 2009, de sorte que le maintien de l’emploi s’est opéré au détriment des marges des entreprises. La flexibilité augmentée et les incitations Hartz de retour à l’emploi ont en partie contribué à la résilience de l’emploi en Allemagne, tout en provoquant une pression à la baisse des salaires.

Le rôle joué par la totalité des réformes Hartz dans ces évolutions reste difficilement quantifiable. La qualité du dialogue social et la volonté des entreprises allemandes d’éviter les pertes de capital humain dans un contexte de tension sur les ressources en main d’œuvre en explique l’autre partie.

Cet article est une synthèse de notes de la Direction Générale du Trésor.


Clément Delaunay