Saint-Simon et l’industrie

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Bio express : Claude Henri de Rouvroy, comte de Saint Simon (1760-1825), appartient à une noblesse en déclin. Militaire ayant participé à la guerre civile américaine, il parcourt l’Europe pour s’inspirer de projets menés et en soumettre d’autres aux gouvernements. Achetant puis revendant les biens de l’Église, il connaît sur le plan financier des fortunes diverses, au gré des détournements de ses partenaires ou des soutiens qu’il put trouver. On pense notamment aux frères Péreire, à Laffite ou à Olinde Rodrigues.

Saint-Simon est un précurseur, passionné de sciences et de techniques dont la politique et l’industrie doivent s’inspirer. L’un de ses premiers écrits est Lettres d’un habitant de Genève (1803), dans lequel il décrit la Révolution française comme une « lutte des classes » mais également la nécessité d’une science politique aussi fiable que les autres sciences.

A 40 ans, il suit encore des études à Polytechnique et de médecine. Saint-Simon connaît des influences diverses : d’Alembert, Rousseau mais aussi Condorcet ou de Bonald. Les deux premiers furent à la base – indirectement – de son éducation. Comme Condorcet, il croit au progrès contre les religions, aux bienfaits de la Révolution – qu’il considère inaccomplie néanmoins, à l’impossibilité d’un retour en arrière… Comme de Bonald, il est hanté par le rétablissement de l’ordre, reposant sur une élite faite de ceux qui connaissent la science et sont capable de diriger l’industrie.

Ses écrits sur l’industrie

Dans le pamphlet Parabole (1819), il postule même que la société serait moins affectée par la perte de la haute-noblesse, du haut-clergé et des dix milles propriétaires les plus riches que par les trois milles artistes et artisans les plus talentueux du pays. Dans L’organisateur (1819) et à l’aide d’une métaphore animale (l’abeille et le frelon), il exprime sa vision d’une société reposant sur deux classes : les producteurs (ouvriers, artisans, artistes…) et les oisifs (clergé, nobles, juristes… ou même l’armée dont il propose la suppression). Dans Du système industriel (1821), il invite le Roi et l’industrie à une grande révolution, une monarchie industrielle, et dans Nouveau christianisme (1825), il se fait promoteur d’un savoir politique écrits par des savants et destiné aux enfants. Cette « nouvelle religion » laïque ne remplacerait pas le christianisme mais, au contraire, permettrait son aboutissement quant à l’amour du prochain, que le seul intérêt égoïste ne peut incarner. Il y a ainsi chez Saint Simon et ses disciples un véritable soucis des classes les plus pauvres.

L’âge d’or du genre humain n’est point derrière nous. Il est au devant, il est dans la perfection de l’ordre social.

Saint-Simon

Plus largement, avec L’industrie (1816-1818), Saint-Simon a la conviction que le but du pouvoir politique doit être le bon fonctionnement de la production, de ses méthodes de fonctionnement… et tous les enseignements tirés de la gestion industrielle devraient être appliqués à la gestion des problèmes sociaux. La politique devient une science de la production, où l’on passe d’un « gouvernement des hommes » à « l’administration des choses ». Pour lui, le progrès de l’outil de production est la source du progrès et du changement politique.

Un pouvoir technocratique ?

A rebours des théories de l’économie libérale, il postule que la libre concurrence engendre l’anarchie et qu’il faut donc, à ce titre, organiser la production ; il faut, en outre, supprimer le droit d’héritage – sans remettre en cause le droit de propriété mais dont la portée sera de fait modifiée – et en attribuant la propriété à ceux dont les compétences seront reconnues, excluant de fait les oisifs. Une banque nationale serait chargée de la distribution des crédits. Les individus seront donc incités à améliorer leurs talents pour être « récompensés », mettant ainsi en place une concurrence au service de l’intérêt général. De la même manière, il n’y a pas chez Saint Simon une volonté d’égalité de revenus, puisque la répartition des biens se fait « à chacun selon son travail ».

Sur le plan politique, et c’est une différence majeure avec le marxisme, les travailleurs ont une place mais pas de pouvoir – qui revient à l’élite éclairée ; les différentes classes doivent coopérer ; l’État doit être le moteur de la Révolution (c’est d’ailleurs la principale critique, ce projet ne concevant pas les moyens politiques des buts recherchés). Le pouvoir reviendrait, en fin de compte, à la technocratie.

L’Histoire est, pour le comte, en progrès constant, divisée entre périodes de stabilité et périodes critiques. Le but de ce progrès est alors de parvenir au socialisme. Mais les considérations se heurtent à un paradoxe : le progrès technique amène à la décomposition des liens de l’ancienne société, tendant à l’individualisme plus qu’à la coopération.

La postérité de ses idées

Pour Saint Simon, le concept de circulation est essentiel, tant sur la question du savoir que de la mobilité des hommes et de l’argent. L’idée d’un canal entre le Pacifique et l’Atlantique (Panama) ou celui du futur Canal de Suez sont de son inspiration (Ferdinand de Lesseps était saint simonien). De même, Enfantin, l’un de ses disciples les plus fervents, finit sa vie comme directeur d’une entreprise de construction de chemin de fers.

Précurseur sur l’Europe, il envisage dans De la réorganisation de la société européenne (1814) la possibilité d’une paix durable en Europe constituée autour d’un noyau dur (Royaume-Uni et France), la création d’un parlement européen supranational ou le commerce via une unité monétaire commune ; un projet entre la chrétienté du Moyen-Age et l’Union Européenne que l’on connaît aujourd’hui.

Les disciples de Saint Simon reprendront et développeront ses idées – parfois en les déformant, ou en donnant une place trop importante à la « nouvelle religion », qui devient rapidement une secte extravagante (désunion de couple, quête vers l’Orient, mystique du sexe,…).

Pour aller plus loin :


Clément Delaunay