Climats a réédité en mars 2017 cette Note de Simone Weil parue initialement en février 1950. L’auteure, morte quelques années auparavant, y décrit avec concision mais sans concession ce qu’est un parti politique. Le texte qui suit est un résumé de l’œuvre.
Nés de la Terreur et de l’exemple anglais, les partis politiques influencent depuis longtemps la vie politique de notre pays. Au moment de la Révolution française, les représentants portaient les doléances du peuple et n’étaient finalement « que de simples organes d’expression pour la pensée publique. Pareille chose ne se reproduisit jamais plus ».
Les caractères essentiels d’un parti
L’action politique devrait être guidée par le bien public, la vérité et la justice. Cependant, elle se heurte à l’action des partis politiques dont les objectifs ne coïncident pas. Simone Weil relève 3 caractères essentiels des partis politiques :
- « Un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective ; »
- « Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membre »
- « L’unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite. […] Jamais ils ne concevraient que leur parti puisse avoir en aucun cas trop de membres, trop d’électeurs, trop d’argent. »
L’absence de contours réellement définis
Le problème est que l’objectif d’un parti, c’est-à-dire la réalisation de ses intérêts et de ceux de son électorat, ne coïncide pas avec la réalisation du bien public. De plus, « les partis les plus inconsistants et les plus strictement organisés sont égaux par le vague de la doctrine ». Les contours d’un parti sont tellement flous qu’il est compliqué d’établir une doctrine – si on n’est capable de résumer quelques idées d’un parti politique, cela n’en fait pas pour autant un ensemble cohérent destiné à régir la société. Et ce qui n’existe pas est sans limite.
Il est certain qu’un membre, lorsqu’il adhère à un parti n’en connaît pas toutes les positions. Pourtant en adhérant, il se donne pour mission de défendre ces dernières. D’une part, chaque membre d’un parti se pose dans le débat en tant que représentant de ce parti : « Supposons [qu’un] membre d’un parti […] prenne en public l’engagement que voici ‘’Toutes les fois que j’examinerai n’importe quel problème politique ou social, je m’engage à oublier que je suis membre de tel groupe et à m’occuper exclusivement de discerner le bien public et la justice.’’ Ce langage serait très mal accueilli. Les siens et même beaucoup d’autres l’accuseraient de trahison. […] En revanche, on trouve tout à fait naturel, raisonnable et honorable, que quelqu’un dise ‘’comme conservateur,…’’, ‘’comme socialiste, je pense que…’’ » même si, sur ce dernier point, ça n’est pas propre aux partis. « Un homme qui n’a pas pris la résolution de fidélité exclusive à la lumière intérieure installe le mensonge au centre même de l’âme ». D’autre part, en adoptant le programme d’un parti, le membre s’interdit de penser, de critiquer une position. Il serait immédiatement perçu comme un « agent » d’un parti concurrent.
Ainsi, « tout parti politique est totalitaire en germe et en aspiration ». Le fait que celui-ci ne le soit pas dans les faits s’explique par l’idée que la volonté de puissance de chaque parti est contrebalancée par une autre, d’un autre parti.
De la même manière qu’un parti politique n’envisage pas sa propre fin ; le parti lui-même est sa propre fin. « On pose en axiome que la condition nécessaire et suffisante pour que le parti serve efficacement la conception du bien public en vue duquel il existe est qu’il possède une large quantité de pouvoir. Mais aucune quantité finie de pouvoir ne peut jamais être en fait regardée comme suffisante, surtout une fois obtenue. Le parti se trouve en fait, par l’effet de l’absence de pensée, dans un état continuel d’impuissance qu’il attribue toujours à l’insuffisance de pouvoir dont il dispose. Serait-il maître absolu du pays, les nécessités internationales imposent des limites étroites. »
La suppression des partis
La suppression des partis n’empêcherait nullement le débat d’idées. Une personnalité politique peut exercer sans avoir une étiquette. Elle peut être d’accord sur le point n°1 avec untel mais en désaccord avec celui-ci sur le point n°2. L’absence de partis permettrait une fluidité plus importante, et la fin d’un attachement partisan à un ensemble d’idées auquel on n’a pas réfléchi.
Simone Weil a également publié :
- L’Enracinement : Ou Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain – Flammarion, Champs Classiques
- La Pesanteur et la grâce – Pocket, Classiques
- Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale – Folio, Essais