Stéphane Horel est née en 1976. Elle a travaillé pour des journaux comme Le Monde ou le Canard Enchaîné, avant de se consacrer à des enquêtes indépendantes, consacrées notamment au lobbying et à l’industrie.
Le début du livre est consacré à Edward Bernays, souvent présenté comme le « père » du lobbying. Celui-ci, neveu de Freud, est notamment connu pour avoir participé à la Commission Creel, dont la mission était de convertir l’opinion publique américaine à l’entrée en guerre en 1917. Après ce fait d’arme, celui-ci est employé par différents groupes industriels du tabac ou de l’agro-alimentaire. Il contribue ainsi à faire de la cigarette un élément « d’émancipation » des femmes.
Au-delà de ses missions, il a notamment développé l’idée de la fabrique du consentement, dans son livre Propaganda, écrit en 1928. L’idée est de démontrer qu’un petit groupe, par d’habiles techniques, peut imposer son opinion au plus grand nombre. L’une d’elles est le recours à des personnes qui font autorité dans leur domaine, comme les docteurs par exemple.
« Voilà le concept dont il est réellement question : les gens me croiront plus si vous m’appelez docteur »
Edward Bernays
Autre auteur, autre méthode : John Hill. Celui-ci, journaliste, développe l’idée d’une « manufacture de la controverse ». En d’autres termes, il s’agit de montrer à l’opinion publique l’idée selon laquelle il n’existe pas de consensus scientifique sur le sujet. En l’absence de celui-ci, on accorde à l’industrie le « bénéfice du doute ».
L’auteur revient également sur les données que nous avons à disposition. Elle fait ainsi état de nombreuses sources, de connaissances importantes… mais dont la production est ignorée par la société, dans une sorte de « fatalisme pâteux ».
« Nous devons être extrêmement vigilants et questionner l’origine des études, déclarations et informations afin de pouvoir demander des comptes à ces firmes. Difficile de le faire dans un environnement politique conservateur – comme l’Amérique de Trump –, où les agences fédérales sont dirigées par des gens qui ne croient pas en l’existence du réchauffement climatique ou qui pensent que le gouvernement est un problème, pas une réponse. »
David Rosner
Mais c’est aussi l’occasion pour Stéphane Horel d’évoquer les principes qui mènent à une reconnaissance : la qualité du processus scientifique et l’inadéquation de celui-ci avec les risques de santé public sont ainsi mis en avant. Entre les scandales et les coûts faramineux des études, seules les grandes industries ont effectivement les moyens de les réaliser. De la même manière, le paiement direct de scientifique ou la sous-traitance des études à des cabinets d’experts aussi scientifiques qu’en charge des relations publiques… semblent être également monnaie courante, au moins aux Etats-Unis. Ces cabinets n’ont d’autres missions que de produire des rapports « scientifiques » protégeant les intérêts de leur client. Parfois même, ce sont les pouvoirs publics qui délèguent la résolution d’un problème : dans d’autres termes, le problème est chargé de trouver la solution.
L’effet du lobbying n’est pas seulement politique, il est également économique, dans le sens où les clients protégés peuvent continuer à vendre leur produit. L’amiante, le tabac, les pesticides,… ont des effets notables sur la santé, et représentent un coût pour la société.
Conflits d’intérêts, détournement de la recherche publique, sponsoring,… Le livre de Stéphane Horel est riche en exemples, ce qui en fait toute son importance.
Pour aller plus loin :
- Thank you for smoking, de Jason Reitman sorti en 2006, d’après un roman éponyme de Christophe Buckley
- Doubt is their product de David Micheals (2008)