Erri de Luca, intellectuel engagé
Erri de Luca est un auteur italien polyglotte, ancien ouvrier et féru d’alpinisme. Marqué par les livres d’Orwell, du poète turc Nazim Hikmet, par la Bible ou par Don Quichotte, l’auteur grandit dans une famille bourgeoise ruinée par la Seconde Guerre Mondiale.
Dans les années 1960, il devient anarchiste, s’oppose à la guerre du Vietnam et participe aux luttes ouvrières chez Fiat. Pendant toute sa vie ouvrière, Erri de Luca se lève chaque matin à l’aube pour lire le grec et l’hébreux. Le soir, rentrant chez lui, il se met à écrire. Il publiera son premier roman en 1989 : « Non ora, non qui », démarrant alors sa carrière d’écrivain. En 2013, il obtient le prix européen de littérature.
En 2013, il déclare son opposition au projet de ligne à grande vitesse Lyon-Turin en disant « les sabotages sont nécessaires pour faire comprendre que le TGV est une œuvre nuisible et inutile ». Le parquet de Turin requiert alors 8 mois de prison ferme : il est finalement relaxé.
Cinq essais
En 2019, il publie chez Tract « Europe, mes mises à feu », un recueil de cinq textes.
Dans le premier, il regrette qu’en Europe, les livres, la musique ou l’argent passent plus facilement les frontières que les hommes. Il regrette aussi que l’on fasse payer aux Grecs un si dur traitement alors qu’ils ont tant apporté par leur Histoire. Pour l’Italien, l’Europe s’est faite par la Méditerranée, par les voyages et les auteurs.
« Aujourd’hui, la Méditerranée est le laboratoire le plus intensif de transformation de corps humains en plancton. […] Même les fours crématoires n’ont pas été aussi efficaces. Il fallait les racler sans arrêt de la graisse des vies incinérées. Mais la mer, elle, moud et ressasse en continu le massacre offert à ses fonds marins. Seule la Méditerranée, entre toutes les mers du monde, fut appelée Nostrum dans le latin de Rome qui, du fait de ses conquêtes, la possédait entièrement. Elle ne dit pas Meum, la mienne, elle ne se l’accapara pas, elle admit qu’elle était Nostrum, celle des peuples qui vivaient sur ses rives. »
Dans le second, il s’interroge sur la gémellité de l’Europe de l’Union, entre pays introvertis et extravertis, entre ceux qui refusent ces réfugiés et ceux qui investissent sur eux.
Le troisième revient sur Lampedusa et ses naufrages.
« Les nouveaux voyageurs d’un aller simple paient à prix d’or le pire des transports maritimes de l’histoire humaine. Les esclaves déportés par les négriers voyageaient mieux, parce qu’ils étaient une marchandise payée à la livraison. Si elle mourait avant, le gain était perdu. Les déportés d’aujourd’hui paient à l’avance, et peu importe s’ils n’arrivent pas à destination. »
Le quatrième revient sur la guérison en deux étapes d’un aveugle par le Christ (Marc 8,24) où le premier déclare, après avoir retrouvé la vue, qu’il voit « les hommes, des arbres qui marchent ». La nature est un avertissement, comme la rose pour le viticulteur.
Le dernier revient sur l’Histoire de l’Europe, faite de sang et de guerre, tournée vers le Sud qui s’est progressivement retourné vers le Nord.
Ce recueil se situe dans la droite ligne des écrits de l’auteur, autant qu’il interroge sur l’Europe que nous voulons.