Hannah Arendt est sans doute la plus grande philosophe du XXème siècle. Disciple de Heidegger ou de Hegel, on retrouve parmi ses œuvres majeures les Origines du Totalitarisme (1951), la Condition de l’Homme moderne (1958) et la Crise de la Culture (1961).
« La liberté d’être libre » est le dernier né de ses livres. Dernier né, car il a été découvert en 2017, publié dans L’American New England Review et traduit en français en 2019 chez Payot. Probablement écrit en 1966-1967, il revient sur la notion liberté, fondamentale dans l’œuvre de la philosophe.
Que veut dire « révolution » ?
La question de la révolution est le premier thème abordé dans ce livre. Jusqu’au XVIIème siècle, ce terme était utilisé uniquement en astronomie. En Angleterre, « révolution » est ensuite utilisé pour parler de « restauration » d’une liberté retrouvée, d’un état originel. Mais ce sens évolue par la suite, au moment des révolutions française et étasunienne.
En conséquence, ce qui s’est réellement passé à la fin du XVIIIème siècle, c’est qu’une tentative de restauration et de récupération d’anciens droits et privilèges a abouti à son exact opposé : un processus de développement ouvrant les portes d’un avenir qui allait résister à toutes les tentatives ultérieures d’agir ou de penser dans les termes d’un mouvement circulaire ou de retour.
Hannah Arendt, La liberté d’être libre, pp33-34
Une révolution peut provenir d’une désintégration du pouvoir et « à la condition qu’il existe une fraction suffisante du peuple qui soit prêt pour un effondrement du régime et qui soit disposée à assumer le pouvoir« .
Les révolutions semblent toujours réussir à leur stade initial : la raison en est que ceux qui sont censés « faire » les révolutions ne « s’emparent » pas du pouvoir, mais plutôt le ramassent quand il traîne dans la rue.
Hannah Arendt, La liberté d’être libre, p40
Lorsque le pouvoir « traîne dans la rue », vacant, il devient également un appel à l’invasion de la part de puissances étrangères. Soit pour rétablir le pouvoir, soit au contraire, pour s’en emparer.
La libération précède la liberté
De la même manière, le mot « liberté » a connu des évolutions majeures au cours des épisodes révolutionnaires. Au départ défini comme la revendication de droits civiques (au sens américain du terme), la liberté devient la capacité ou la possibilité de participer aux affaires publiques. Or cette possibilité n’était pas « possible » sous un régime monarchique et entraînait de fait l’apparition d’un nouveau régime : la République. La libération précède la liberté.
Cependant, cette possibilité n’est donnée qu’à un petit nombre de personnes, n’ayant « pas de maîtres et [n’étant] pas toujours occupés à gagner leur vie ». La principale différence entre les États-Unis et la France est, qu’à cette époque, la misère américaine était largement invisibilisée car constituée essentiellement d’esclaves noirs. En France, la partie la plus pauvre du pays était justement rendue visible. La révolution française avait, en fin de compte un objectif plus large que la révolution américaine : celui de permettre à chacun de prendre part à la liberté en le libérant de la misère.
Seuls ceux qui sont délivrés de la nécessité peuvent pleinement apprécier ce que c’est d’être libre de toute peur, et seuls ceux qui sont libérés du besoin et de la peur sot capables de concevoir une passion pour la liberté publique et de développer le goût particulier pour l’égalité que cette liberté porte en elle.
Hannah Arendt, La liberté d’être libre, p56