Pierre Péan : une blessure française

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Pierre Péan est un « journaliste d’initiative » né en 1938 et décédé en juillet 2019. Il est surtout connu pour ses livres concernant la vie politique française, l’Afrique ou les « affaires ». Ce que l’on sait moins, c’est qu’il a écrit également des livres concernant les Pays de Loire. On retiendra notamment « Les Chapellières : Une terre, deux destins en pays chouan » (1987), « Une blessure française : les soulèvements populaires dans l’Ouest sous la Révolution » (2008) ou « Ma petite France. Chronique d’une ville ordinaire sous l’Occupation » (2017).

Dans Une blessure française, dont il est question ici, l’auteur revient sur l’épisode de la Terreur, consécutif à la Révolution française de 1798. Reprenant des analyses « classiques » de cette période, comme Tilly[1], Blois[2], Jean Claude Martin ou Roger Dupuy, il ajoute cependant un certain nombre d’écrits spécifiques à la commune de Maumusson, près d’Ancenis.

Après avoir fait état des massacres perpétrés dans le pays nantais par le sanguinaire Jean-Baptiste Carrier, Pierre Péan revient sur le contexte et les causes qui ont amené l’émergence de la chouannerie.

Pierre Péan : les chouans se sont révoltés tout seuls

Le premier élément est le fait que les chouans se sont « révoltés tout seuls », sans qu’il y ait besoin d’une mobilisation de la vieille aristocratie ou de la religion catholique, bien que celle-ci soit bien implantée dans l’Ouest de la France. Il n’y avait pas, pour les habitants, de refus de principe de la Révolution, « et Maumusson souffrait dans sa chair des abus de l’Ancien Régime ». La fin des privilèges votée la nuit du 4 août est même bien accueillie dans la commune.

Après la Révolution, les impôts augmentent et l’assiette de ceux-ci s’élargit[3]. Les biens, confisqués au clergé, sont « récupérés » par les bourgeois – et notamment les négriers nantais – alors que les paysans pensaient pouvoir en bénéficier. Les mauvaises récoltent associées à la spéculation sur les grains entraînent une aggravation des conditions de vie des personnes. A cela, il fallait ensuite ajouter la fin de la liberté de culte, et l’exigence du serment des prêtres, la conscription … mais également des raisons plus locales, comme la récupération par quelques-uns des terres sur lesquels les paysans gardaient leur bétail ou les corvées comme la reconstruction d’un château.

Pierre Péan en profite pour revenir sur l’importance et l’influence du Club breton, qui devient plus tard le club des Jacobins. Celui-ci, au départ constitué de députés bretons organisés, s’élargit à des non-bretons et à des non-députés. Plus que cela, le club essaime dans toute la France des « Clubs des amis de la constitution ». En préparant les réunions, en s’appuyant sur un réseau local et en rémunérant des gens qui viennent s’installer dans les tribunes pour huer au bon moment, le Club des Jacobins devient une force avec laquelle il faut compter. L’une des rares forces qui s’opposait à leur rêve de « félicité générale » était les prêtres catholiques réfractaires.

Lorsque vient le moment de remplacer ces prêtres réfractaires, plusieurs problèmes se posent. Le premier d’entre eux est le manque d’effectif pour les remplacer… et le fait que ceux nommés ne viennent pas accomplir leur mission. Ainsi, les prêtres réfractaires continuent d’assurer leur office, tandis que « Joyau, le nouveau curé élu par le district, ne s’est jamais présenté à la cure ». Ailleurs, les prêtres ayant prêté serment sont mal accueillis par la population et n’arrivent pas à s’imposer.

« La mécanique infernale qui va aboutir à la persécution des prêtres, puis des habitants des campagnes qui les soutiennent, est lancée. Les patriotes entendent sauver le peuple malgré et contre lui, parce qu’il est jugé ‘’fanatique’’ ».

Un rapport écrit par MM. Gallois et Gensonné rend compte à Paris de la situation, faisant des préconisations pour rétablir la situation et éviter le basculement dans la guerre civile. Celles-ci ne seront pas suivies. Au contraire, les prêtres réfractaires du pays d’Ancenis doivent se rendre à Nantes, où ils doivent être emprisonnés. Cet ordre passe mal dans la population, qui commence à s’organiser pour défendre leur prêtre, provoquant une réaction de la garde nationale – émanation directe des sociétés bourgeoises de la région.

Lorsque les mineurs sont à leur tour touchés par la crise, ils se joignent aux paysans dans la préparation de la contestation. La conscription met le feu aux poudres, et une partie des villages s’insurge. Ceux-ci réclament la fin de la conscription, le retour des prêtres, la baisse des impôts, la récupération de leurs armes confisquées l’année précédente, du pain…

A Paris, Robespierre et ses amis profitent du début de cette guerre civile pour l’utiliser dans la conquête de leur pouvoir.

« La mobilisation pour la Vendée va être en fait utilisée pour éliminer les girondins de la scène politique. […] Pour reprendre l’expression de Michelet, Defermon [modéré] a ‘’ce grave défaut en révolution, la tolérance’’. Les modérés ont certes encore la majorité à l’Assemblée en cette fin mai, mais ils sont impuissants face à l’insurrection déclenchée par Robespierre. »

En octobre 1793, Bertrand Barère, au nom du Comité de Salut public, exige la destruction de la Vendée. Robespierre et ses amis ne verront pas la fin de ce conflit, puisqu’ils seront guillotinés l’année suivante.

De victoires en défaites, des maisons à l’errance, les chouans prendront part à de nombreuses batailles. Mais progressivement, « la révolte populaire [est] ainsi trahie par les chefs chouans inféodés aux Bourbons, qui ont signé la paix avec la République pour mieux ensuite la combattre. »

Selon Pierre Péan, Hoche fait un diagnostic selon lequel il existe deux « niveaux » : les paysans attachés à leur liberté de culte et les chefs chouans inféodés aux Bourbons et luttant pour la restauration de la monarchie. En signant la paix à Mabilais, Hoche marque une première étape dans le retour de la paix, avant celle, définitive, portée par Napoléon.


[1] Tilly, Charles. La Vendée. Révolution et Contre-révolution. Fayard, 1997.

[2] Blois, Paul. Paysans de l’Ouest. Flammarion, 1971.

[3] Une étude menée à Anetz par Jean Paul Lelu, montre que les contribuables payant moins de 3 livres voient leurs impôts multipliés par 7,65.

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Clément Delaunay